ÉPISODE n°7 :

Pillages ou
Libérations ?

Temps de lecture : 7 minutes

Siroo Coexistence Pillages ou Libérations ?

An 713

Que s’est-il passé

après la bataille de Guadelete ?

Est-ce que les Musulmans,

au nom du Jihad,

ont chassé et massacré les Chrétiens de la Péninsule ibérique ?

Est-ce que les Chrétiens ont combattu et résisté aux Musulmans

jusqu’au martyr en tant que croisés ?

LES AVIS DIVERGENT …

Beaucoup d’auteurs de confession musulmane idéalisent les débuts d’Al Andalus. Ils les décrivent uniquement comme un passé glorieux où tous les acteurs musulmans sont des héros légendaires. Leur piété et leur courage leurs auraient permis d’avoir le soutien de DIEU avec l’intervention d’Anges. Certains auteurs expliquent ainsi la victoire de Guadelete : les « 10000 » Musulmans auraient vaincus des Infidèles chrétiens dix fois plus nombreux grâce à des nuées d’Anges comme à la Bataille de Badr. Les historiens arabo-musulmans désignent cette période comme celle des « Futuhat », des Libérations.

À l’opposé, de nombreux auteurs occidentaux, historiens et surtout polémistes, présentent les mêmes événements avec une vision totalement différente des débuts d’Al Andalus. Encore aujourd’hui, certains professeurs ou instituteurs enseignent que cette période correspond uniquement aux invasions de l’Europe par des peuples « barbares » et belliqueux comme les Vikings, les hordes hongroises et…les « sarrasins ». Ces derniers ne sont que des pilleurs, des pirates, …. Les Musulmans auraient chassé les Chrétiens au nom du Jihad. Ces Sarrasins auraient pillé et dévasté tout le sud de l’Europe occidentale

Qu’en est-il réellement ? Qui a raison ? Qui a tort ?

Siroo Récits Coexistence Wisigoths

DES DIVISIONS

Lorsque les Berbères débarquent en Europe, les Ibères, peuple autochtone composant l’écrasante majorité de la population, subissent la domination de la minorité wisigoth. Cette aristocratique étrangère et guerrière contrôle l’ensemble des rouages du royaume. Après la défaite de Guadelete, la mort du tyran Rodrigue et de ses principaux lieutenants, le royaume wisigoth est totalement désorganisé. La résistance face aux troupes arabo-berbères n’est pas unifiée. Le pouvoir central reste vacant et chaque territoire agit de manière quasi autonome.

Ce désordre à la tête du royaume n’est que le reflet de divisions au sein de l’élite wisigothique, oppositions qui n’ont cessé de s’accroitre depuis la prise de pouvoir de Rodrigue. Ce dernier a tué pour devenir roi et compense l’illégitimité de son pouvoir par une violence envers toute opposition. Si ces agissements ont permis son maintien à la tête de l’aristocratie wisigoth, ils ont renforcé les rancœurs, accru les nombres d’opposants et semé la discorde au sein des wisigoths.

D’autres dissensions profondes existaient déjà chez les Germains. Pour renforcer leur pouvoir, au VIème siècle, les rois wisigoths ont décidé, sincèrement ou pas, de renier la Foi de leurs ancêtres et de se convertir au catholicisme romain. Auparavant ils étaient adeptes de l’arianisme, doctrine chrétienne qui affirme que Jésus n’est pas de la même nature que DIEU. Cette conversion, au moins officielle, des rois wisigoths leur a permis de s’allier à la puissante Église Romaine avec son Haut-Clergé très influent. Mais tous les Germains n’ont pas accepté ce reniement. L’arrivée d’une nouvelle entité politique, l’empire omeyade, avec une nouvelle religion, l’Islam, qui nie elle aussi la Trinité, va raviver certaines tensions.

SE VENGER

Beaucoup de wisigoths sont restés silencieux et passifs pendant longtemps craignant, à juste titre, de subir le courroux du roi Rodrigue comme d’autres l’avaient subi au péril de leurs vies auparavant. L’arrivée de la nouvelle force omeyade en Afrique du Nord va la encore modifier la situation. Comme la minorité juive, de nombreux aristocrates wisigoths vont aller chercher des soutiens contre le roi Rodrigue en entrant en contact avec Tariq Ibn Zyad, le gouverneur omeyade de Tanger, avant même son arrivée dans la Péninsule.

Parmi eux, on trouve en premier celui qu’on nomme le « Comte Julien », gouverneur de Sebta/Ceuta en Afrique du Nord, ville alors sous domination wisigothique. Il est l’un des principaux instigateurs du débarquement des troupes arabo-berbères. Les sources divergent sur ces motivations exactes. Certaines insistent sur un fort désir de vengeance après des exactions de Rodrigue contre sa famille. C’est donc ce comte Julien qui soutient fortement Tariq Ibn Zyad notamment en mettant à disposition des bateaux mais surtout des hommes capables de guider les Berbères dans la Péninsule ibérique après le débarquement.

 

Siroo Coexistence Récits Ceuta

PACTISER OU RESISTER ?

D’autres aristocrates germains ont rencontré Tariq Zyad. Certains chroniqueurs arabes affirment même que des wisigoths se seraient rendus jusqu’à Damas pour rencontrer l’empereur omeyade et surtout convenir avec lui des modalités de leur soutien ou du moins de leur neutralité. Ainsi que ce soit à Tanger ou à Damas, les dispositions du Pacte qui unira l’Empire omeyade aux aristocrates wisigoths sont les mêmes :

  • On accorde à tous la liberté religieuse qu’ils soient ariens, catholiques ou juifs.
  • On garantit la sécurité des aristocrates, de leurs familles et de leurs clans : le fameux « Aman » des Arabes.
  • On assure que ni leurs biens et ni leurs propriétés ne seront confisqués.
  • Leur statut d’aristocrates et leur place dans la société seront maintenus

En échange, ils doivent se soumettre au nouveau pouvoir omeyade, accepter la domination arabe et reconnaitre l’entrée de la Péninsule ibérique dans Dar Al Islam, les Terres d’Islam. Et surtout, ils doivent s’acquitter de deux impôts : un impôt foncier et un impôt spécifique : la Jiziya en raison de leur Dhimmitude. Nous reviendrons, dans un autre Récit, sur ces deux dernières notions.

Pour beaucoup d’aristocrates, ce Pacte représente alors une opportunité « fiscale ». La domination omeyade est moins oppressante et moins prédatrice fiscalement que la tyrannie qu’exerce le roi Rodrigue. Pour l’empire omeyade, ce Pacte n’a rien d’exceptionnel. Il est similaire aux accords qui lient ces rois musulmans aux millions de chrétiens, juifs, zoroastriens et autres communautés religieuses qui vivent déjà en Terres d’Islam depuis plus d’un demi-siècle. Ce Pacte est proposé à l’élite dirigeante mais il concerne l’ensemble de la population qui bénéficie des mêmes droits et qui doit s’acquitter elle-aussi des mêmes impôts.

PACTE DE THEODOMIR 

On retrouve la transcription, certes tardive, d’un de ces Pacte dans un écrit du 13ème siècle. On le nomme « Pacte de Théodomir » ou Tudmir pour les arabophones. Les signataires sont un aristocrate wisigoth, Théodomir, et le fils de Moussa Ibn Nusayr. C’est toute une partie de l’ouest de la Péninsule ibérique : Lorca, Alicante, … qui entra dans l’empire omeyade à la suite de ce Pacte. Voilà une transcription de cet écrit :  

« Au nom de DIEU clément et miséricordieux ! Établi par ʿAbd al-ʿAzīz Ibn Mūsā Ibn Nusayr à l’adresse de Théodomir (Tudmīr) Ibn Ghabdūsh. Il est attendu que celui-ci accepte de capituler et s’y résigne, accepte la clientèle et le patronage de DIEU ainsi que la clientèle de son Prophète – que DIEU lui soit faste et propice ! – à la condition que l’on n’imposera aucune domination sur lui-même et sur les siens ; qu’il ne pourra être dépossédé de sa seigneurie ; que ceux-ci ne pourront être mis à mort, ni faits prisonniers ni séparés les uns des autres pas plus que les enfants de leur mère, ni violentés dans leur foi religieuse et que leurs églises ne pourront être brûlées ; qu’il ne pourra être dépouillé de sa seigneurie tant qu’il sera fidèle et sincère et qu’il se tiendra à ce qui a été stipulé ; que sa capitulation s’étend à sept villes qui sont : Orihuela, Valentila, Alicante, Mula, Bigastro, Eyyo et Lorca ; qu’il ne donnera asile ni aux déserteurs ni aux ennemis ; qu’il ne cherchera pas à terroriser ceux qui vivent sous notre protection ni ne dissimulera les nouvelles, concernant nos ennemis, qu’il pourrait connaître. Que lui et les siens paieront chaque année un dinar et quatre mesures de blé, quatre d’orge, quatre cruches de moût cuit, quatre de vinaigre, deux de miel et deux d’huile ; mais que le serf ne paiera que la moitié. Signé par les quatre témoins suivants : ʿUthmān Ibn Abī ʿAbda al-Qurayshī, Ḥabīb Ibn Abī ʿUbayda al-Fihrī, ʿAbd Allāh Ibn Maysara al-Fahmī et Abū 1-Qāẓim al-Hudhaylī. Rédigé le quatrième jour de radjab, de l’année 94 (5 avril 713). »

 

CHOISIR

Les wisigoths avaient donc la possibilité de « pactiser » avec les omeyades. Conformément à une Tradition musulmane, lorsque les troupes arabo-berbères se présentent face une ville, un château ou tout autre entité politique, ils proposaient aux belligérants trois alternatives. Ces derniers avaient le choix entre :

  • Se soumettre sans combattre à la domination omeyade, accepter le Pacte, s’acquitter des impôts et devenir Dhimmi ;
  • Devenir musulmans, rejoindre l’armée et la cause omeyade ;
  • En cas de refus de l’un des deux choix précédents, c’est la guerre.

Et face à toute opposition, les armées omeyades sont alors implacables. Les villes qui résistent sont attaquées et pillées. L’objectif est clair : semer la peur pour inciter fortement tous les Wisigoths et Ibères à accepter les conditions du Pacte ou à fuir face à l’avancée des troupes arabo-berbères. Nombreux sont les membres de l’élite, Wisigoths et Haut-clergé, qui ont tout laissé derrière eux par peur du nouveau pouvoir. Le butin amassé par Tariq et Moussa est donc colossal. Les Palais délaissés et les Églises désertées remplirent les coffres de l’Empire omeyade. Les quelques milliers de soldats arabes et berbères s’enrichirent rapidement et nombre d’entre eux reçurent en possession les nombreuses Terres des aristocrates qui étaient morts ou qui avaient fui. D’immenses domaines furent constitués au bénéfice de la nouvelle élite.

Toutefois on sait aujourd’hui que la majorité de la Péninsule ibérique fut « libérée », conquise sans combattre et surtout sans pillage, ni massacre. De nombreux documents, comme le Pacte de Tudmir, attestent que la majorité des aristocrates et de la population préfère pactiser que combattre et résister au risque de tout perdre. Certains, une minorité, sont devenus Musulmans. Mais la majorité chrétienne accepta devenir les nouveaux sujets d’un royaume musulman. Il n’y a pas eu de grand remplacement, d’invasions par des millions de Sarrasins. Le pouvoir change de mains : les guerriers wisigoths abandonnent la Péninsule ibérique à une nouvelle élite : les arabo-berbères … omeyades et musulmans. Al Andalus est née

.

écrit par Mouad AZZA

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